26/03/2015
Latin et composition des résultats des élections départementales au "Monde" !
La "robotisation" de la langue française est difficile ! Les racines latines y sont pour quelque chose !
Le journal Le Monde réussit à passer d'un tableau numérique des résultats des élections départementales à un "article" par canton, composé par un programme informatique...
Le résultat est plaisant, mais cet automatisme ne remplace pas la "plume" et "l'humour" du rédacteur.
Dans un blog la rencontre de deux articles de presse crée le "sujet" et éventuellement la "réflexion"...
Un de mes professeurs de français illustrait l'intérêt du latin dans la compréhension de mots peu utilisés : un argument "captieux" (de "capere"), qui "trompe" et un parfum "capiteux", qui monte à la tête (de "caput")...
La "langue française" est d'une difficulté "délicieuse" !
Bernard Fripiat, le latin, un plus pour une bonne orthographe
Le Figaro du 26 mars 2015
Ce spécialiste de la langue française en explique les pièges et les facéties en explorant l’histoire. La meilleure façon, selon lui, de mémoriser ses difficultés.
Marie-Amélie Lombard-Latune
Belge, arrivé à Paris pour faire du théâtre au milieu des années 1980 après des études d’histoire à Liège, Bernard Fripiat, « coach » en orthographe, est sollicité par de nombreuses entreprises françaises. Avec truculence, il aime désacraliser l’orthographe pour « la rendre plus humaine ». Il publie Au commencement était le verbe… Ensuite vint l’orthographe ! Une histoire amusante de l’orthographe des Gaulois à nos jours (éditions Vuibert, mars 2015). Une lecture instructive lorsque trois quarts des Français jugent leur langue maternelle « difficile », notamment en raison de l’orthographe, selon un récent sondage publié par Le Point. Éclairante quand on sait que l’apprentissage du latin est menacé par la réforme du collège.
LE FIGARO. - À la lecture de votre livre, on s’aperçoit à quel point l’orthographe s’explique toujours mais défie parfois la logique…
Bernard FRIPIAT. - Oui, parce qu’elle s’est construite peu à peu. À partir du latin, bien sûr, mais, avec l’apport des invasions franques qui ont introduit des sons qui n’existaient pas en latin et qu’il a fallu retranscrire. Tel le son « ch ». L’orthographe a connu de nombreuses variations et évolutions jusqu’au XIXe siècle. Elle se fixe autour de 1835, où l’on invente la faute. Voltaire pouvait écrire comme il l’entendait, pas Victor Hugo.
Un exemple de cette « construction » ?
Le mot « yeux », c’est un gag ! Autrefois, écrire « ieux » pouvait signifier « yeux » ou « jeux », la lettre « i » pouvant se lire « i » ou « j ». On a donc utilisé le « y » pour éviter de confondre. Jusqu’au XVIIIe siècle, l’emploi du « y » est très fréquent comme dans « roy » ou « amy ». Dans les manuscrits, il est plus lisible que le « i », qui s’écrit sans point pour éviter les pâtés.
Les pâtés ?….
Oui, l’écriture à la plume favorisait les taches d’encre. Pour limiter les risques, on ne mettait pas de points, ni d’accents, ni de cédilles. Et la coupure des mots se faisait de façon aléatoire, quand il fallait retremper la plume dans l’encrier !
Est-ce la véritable explication ?
J’ai pour exemple une lettre de Louis XIV rédigée ainsi : « Jay souferplusieursennees desafoiblesse de sonopniastreté » (1). Les professeurs d’université ne disent pas autre chose mais le formulent peut-être un peu plus élégamment. De la même façon, le mot « forest » est devenu « forêt » quand les imprimeurs ont pu utiliser l’accent circonflexe. Ils étaient ravis : cela leur permettait d’économiser une lettre. Or le papier était cher !
Quant aux lettres hampes - celles qui montent ou descendent comme t, d, h, p, q, etc. -, elles sont très appréciées car elles facilitent la lecture ?
Oui, surtout quand on décrypte un texte à la lueur d’une chandelle. Les juristes du XIIIe siècle les adoraient. C’est ainsi que « huit » s’écrit avec un « h » alors qu’il n’y a aucune raison étymologique (il vient du latin « octo »). Cela permettait de distinguer le « u » d’un « v », qui s’écrivaient de façon similaire. C’est aussi pour cette raison que « huile » et « huître » prennent un « h ».
Au fil des siècles, on ne se prive pas de jouer ainsi avec les mots ?
En effet, on retire ou on ajoute des lettres selon les besoins. Ainsi le latin « mater » se transforme-t-il d’abord en « maer » puis en « mère » au XIIe siècle. Mais on reprend le latin pour « maternité ». Au XIIIe siècle, on recrée des mots en ajoutant des lettres. Le mot « populus » était devenu « peuple » mais donne aussi « populaire ».
Pourquoi les pluriels de « cheval » et de « festival » diffèrent-ils ?
Le premier est très ancien alors que le second fut emprunté à l’anglais en 1830. « Chevals » a évolué phonétiquement vers « chevaux ». Mme de Sévigné écrivait des combats « navaux » et Jean de La Fontaine employait « portaux » pour plusieurs portails. Autre bizarrerie : pourquoi « favori » et « favorite » ? À cause de François Ier, qui aimait beaucoup l’Italie et le mot « favorita » pour les jolies femmes qu’il y rencontrait.
Sautons quelques siècles. Ce n’est qu’en 1935 que l’Académie française tente de fixer l’orthographe de « nénuphar » ?
Après une longue bagarre entre les partisans du « f » et ceux du « ph ». L’Académie opte pour le « ph », s’appuyant, selon certaines mauvaises langues, sur sa prétendue origine grecque alors quelle est arabe ! Aujourd’hui, elle accepte les deux orthographes. Que de disputes pour un mot que personne n’écrit dans sa vie !
Le pluriel de « grand-mère » ne donne-t-il pas aussi matière à controverse ?
Faut-il écrire « des grand-mères », comme l’Académie, « grands-mères », comme le Robert, ou « grandes-mères » ? Quoi que l’on fasse, c’est idiot et ne correspond à aucune logique ! L’ancien français ne distinguait pas le genre des adjectifs latins en « is », comme « grandis ». D’où « grand-place », «grand-messe », etc.
Ce n’est qu’en 1905 que les thèses d’État ne sont plus rédigées et soutenues exclusivement en latin…
Oui. Il faut se souvenir qu’en 1892 Jaurès soutient en latin sa thèse sur les origines du socialisme allemand (« De primis socialismi germanici lineamentis »). J’ai moi-même eu un professeur qui parlait couramment le latin !
Vous êtes « coach » en orthographe. Avoir fait du latin est-il une aide précieuse pour éviter les fautes ?
Sans aucun doute mais c’est peut-être aussi que les personnes qui ont étudié le latin ont plus d’intérêt pour l’orthographe.
Quelles sont les fautes les plus courantes ?
L’accord du participe passé parce que l’ordinateur ne détecte pas l’erreur. Avant, les chefs d’entreprise avaient ce que j’appelle une « secrétaire-maman »…
Qui sont vos élèves ?
Des adultes, des quinquagénaires, pas seulement des enfants de la méthode globale ! J’ai travaillé pour Bouygues, L’Oréal… La plupart des entreprises organisent de tels stages pour leurs salariés mais n’aiment pas que cela se sache. Un grand patron m’a même fait signer une clause de confidentialité.
Quelques conseils pour les « étourdis » ?
Attention à l’heure à laquelle vous écrivez un courrier important. Le matin, on est plus frais. En fin de journée, on veut s’en débarrasser. Se relire en commençant par la fin du texte, ce qui oblige à être plus attentif, et sur une version imprimée plutôt que sur écran.
Vous ne commettez, bien sûr, jamais d’erreurs ?
Si, récemment je ne savais plus comment s’orthographiait « fidèle ». J’avais envie d’écrire « fidelle ». Et puis, j’ai aussi envoyé un texte avec « il faut êtres ». Mais ça, c’était la faute du correcteur automatique !
Des robots au Monde pendant les élections départementales ? Oui… et non
Blog du Monde le 24 mars 2015
Des « robots » au Monde ? Oui et non. Pour la première fois, à l'occasion du premier tour des élections départementales du 22 mars, nous avons expérimenté le recours à la génération automatique de textes. Les résultats de plus de 30 000 communes et 2 000 cantons (accessibles lorsqu'on parcourt les détails du vote dans chaque département) ont été présentés à la fois sous la forme de données chiffrées brutes, comme nous le faisons depuis des années à chaque élection, et de courts textes de présentation, écrits avec l'aide d'un logiciel développé par la société Syllabs.
L'exemple du canton de Chablis
Pourquoi un tel dispositif ? Parce qu'il nous paraissait intéressant d'expérimenter de nouveaux outils susceptibles d'apporter un nouveau service à nos lecteurs. En l'occurrence, il s'agit de proposer deux modes de lecture différents : soit à travers des tableaux, classiques, où figurent les noms, étiquettes partisanes et résultats obtenus (comme nous l'avions fait par exemple lors des municipales en mars 2014), soit à travers des textes qui reprennent ces données officielles, issues du ministère de l'intérieur, et les présentent de façon plus directe et plus claire.
Admettons également que ces textes sont plus facilement repérables par les moteurs de recherche : ils permettent de donner plus de chance à des lecteurs éloignés du Monde de nous retrouver – un enjeu clé désormais pour l'ensemble des médias en France et dans le monde.
70 JOURNALISTES MOBILISÉS POUR LE PREMIER TOUR
La méthode est assez simple dans l'esprit, mais beaucoup plus complexe techniquement à réaliser. Nous avons dû d'abord modéliser les résultats afin de réfléchir au mieux à leur transmission et à leur publication. Par exemple, il a fallu déterminer à quel moment nous pouvions affirmer qu'un binôme de candidats était élu (50 % des voix, 25 % des inscrits), en ballottage, éliminé... ou en position de se maintenir dans le cadre d'une triangulaire (12,5 % des inscrits).
Avec Syllabs, nous avons également travaillé sur des formulations, les plus rigoureuses possibles, capables de présenter les résultats. A partir d'une base d'exemples de textes, rédigés initialement par des journalistes, Syllabs a ensuite automatiquement intégré les données de chaque canton, chaque commune, dès que les résultats ont été rendus publics par le ministère de l'intérieur.
Si ce travail ouvre de nouvelles perspectives, et offre de nouveaux services à nos lecteurs, il ne remplace en rien le journalisme. Les journalistes du Monde n'avaient de toute façon pas la capacité de produire 30 000 articles sur 30 000 communes en une nuit. Ces textes ne prétendent d'ailleurs pas être des analyses (au contraire des 98 commentaires électoraux sur les résultats à l'échelle des départements écrits par notre service politique avant lundi matin) ni des reportages.
Parce qu'en démocratie il n'y a pas de petites élections, Le Monde a ainsi mobilisé 70 journalistes pour couvrir les élections départementales – dont une vingtaine envoyés spéciaux un peu partout sur le territoire. Et nos informations sont formelles, vérifiées et recoupées : ces équipes sont bel et bien humaines.
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