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05/02/2015

Gauchistes, ratés, frustrés...

Le Ministre de l'Education Nationale veut créer une "deuxième branche de l'Economie" pour caser les "ratés" du système universitaire !

Jean Tirole et les deux économies.jpg

Oui, c'était sans compter le tollé, provoqué par une telle mesure, qui est loin de la "sérénité" universitaire !

Jean Tirole, titré, mais modéré, a pris la plume pour dénoncer la démagogie d'une telle mesure, destinée à caser les "gauchistes, ratés et frustrés"...

Au fond, le Ministre ferait bien de suivre quelques cours d'économie...


 

Universités, guerre ouverte chez les profs d’économie

Le Figaro du 5 janvier 2015

La décision de Najat Vallaud-Belkacem de créer une deuxième section d’économie intitulée « Institutions, économie, territoire et société » hérisse les doyens de facultés. Certains y voient un coup de pouce aux chercheurs proches de la gauche.

Marie-Estelle Pech

Les économistes français brillent de mille feux dans le monde avec un Jean Tirole Prix Nobel et un Thomas Piketty succès d’édition aux États-Unis. Pourtant, en France, les universitaires spécialistes se déchirent plus que jamais entre courants de pensée. Certains sont même à couteaux tirés avec la ministre de l’Éducation nationale alors que les étudiants délaissent cette discipline depuis quelques années.

Pour accomplir une promesse de son prédécesseur, Benoît Hamon, Najat ­Vallaud-Belkacem vient de décider de créer une deuxième section d’économie au sein du Conseil national universitaire (CNU) - l’instance toute-puissante qui décide des carrières des professeurs - intitulée « Institutions, économie, territoire et société ».

Offusqué, Alain Ayong Le Kama, président de la 5e section du CNU, celle des sciences économiques, a convoqué une réunion extraordinaire ce lundi 5 janvier pour demander à ses membres « de se prononcer sur une démission collective ». En jeu selon lui, la survie de cette discipline, en voie de balkanisation dans les universités françaises. La quasi-totalité des 20 doyens de facultés d’économie s’opposent aussi à ce projet. Ils affirment ne pas avoir été consultés : « On ne comprend pas. C’est ubuesque », disent-ils rappelant qu’ils soutiennent la diversité des approches économiques. « Nous appelons à œuvrer dans ce sens, et non pas à morceler la discipline au CNU. »

Pour eux, cette nouvelle section « fourre-tout » va essentiellement servir à caser les « ratés » ou « frustrés » du système universitaire. Ceux qui n’ont pas réussi à devenir professeurs, ceux qui n’ont pas réussi l’agrégation, ceux qui n’arrivent pas à se faire publier dans des revues de renom. L’évaluation de ces nouveaux venus pourrait ainsi ne pas se baser, comme partout ailleurs, sur leurs publications dans les revues internationales : « Un article au sein de la revue française d’économie rurale vaudra autant que celle de l’American Economy Review ! Cela va avantager ceux qui font plein de petits essais dans des petites revues. Résultat : le copinage va se développer. Ce n’est pas brillant, c’est très idéologique », commente Alain Ayong Le Kama. Il va par ailleurs s’agir de créer de nouveaux postes de professeurs, de créer une nouvelle filière alors « qu’on a déjà du mal à attirer des étudiants ! », s’étonne-t-il. Et ce dans un contexte où le ministère affirme paradoxalement sa volonté de simplifier les formations…

Un président d’université n’y va pas par quatre chemins : « La ministre s’est fait rouler par les gauchistes. » Certains ne manquent pas, en effet, pour caricaturer, d’opposer les « économistes orthodoxes » aux « économistes hétérodoxes » en traduisant par une opposition droite-gauche au sein de la discipline. Les « économistes hétérodoxes » font un lobbying incessant depuis quelques années auprès du ministère par le biais de l’Association française d’économie politique. Eux affirment qu’ils ne veulent pas de cette nouvelle section pour des questions de carrière mais pour des raisons idéologiques : il y aurait à l’université française une pensée dominante orthodoxe « néoclassique » qu’ils appellent aussi la « pensée toulousaine » incarnée par l’École d’économie cofondée par Jean Tirole. De plus en plus théorique, formaliste et mathématique, ils la décrivent comme « trop abstraite » et ne tenant pas assez compte des chercheurs qui outre l’économie utilisent des disciplines comme la psychologie, la sociologie, l’histoire, la philosophie, etc. Ils revendiquent une approche critique post-keynésienne voire post-marxiste.

Et d’évoquer le cas de cette spécialiste de l’économie sociale qui a mal vécu ses refus de qualification par le CNU. Tout comme ce spécialiste de l’économie de la santé, membre d’un collectif qui conteste l’économie « néolibérale ». Il n’est « pas possible pour eux de vivre sous domination d’une discipline qui s’est construite comme une science non sociale, alors qu’eux revendiquent le contraire ». « C’est un problème qui dépasse largement l’université et concerne toute la société », indiquait il y a quelques mois Pierre-Cyrille Hautcoeur, économiste de l’EHESS. « La question demeure : à quoi servent les économistes dans notre société ? », affirmait-il alors.

Pour Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l’université d’Orléans, « le spectacle offert est lamentable. C’est avant tout une question de gestion des carrières », insiste-t-elle, affirmant toutefois qu’il existe « autant de mauvais matheux que de mauvais institutionnalistes ».

Ce débat n’a aucun sens selon le doyen d’économie de l’université de Strasbourg, Thierry Burger-Helmchen : si l’économie est devenue plus formaliste, c’est un progrès. Le formalisme permet de davantage contrôler son raisonnement. On a besoin des mathématiques pour modéliser une situation et ensuite la tester scientifiquement.

« À Strasbourg, nous apprécions l’interdisciplinarité. Nous avons des cours sur l’économie du bonheur ou de l’innovation. La vraie question, c’est la qualité des chercheurs. Tirole est très théorique, ­Piketty s’intéresse à une économie plus appliquée. Et ils réussissent tous les deux. La vraie question, c’est qui est bon, qui est mauvais. »

 

 

 

Lettre ouverte à Jean Tirole

 

AFEP du 29 janvier 2015

 

Cher Monsieur,

 

La diversité intellectuelle n’est pas source d’obscurantisme et de relativisme mais d’innovations et de découvertes !

 

La dépêche AFP du jeudi 23 janvier fait état d’un courrier que vous avez adressé au ministère de l’Éducation nationale. Cette lettre, a-t-on dit, aurait joué un rôle dans le recul du ministère concernant son intention de créer une nouvelle section en économie.

 

Il nous semble utile d’y répondre car vos propos illustrent les motivations qui nous poussent à souhaiter quitter la section de « sciences économiques » pour une nouvelle section « Économie et société », ouverte et interdisciplinaire. A ce propos, vous évoquez une possible « catastrophe pour la visibilité et l’avenir de la recherche en sciences économiques dans notre pays ». Vous écrivez que ce projet « promeut le relativisme des connaissances, antichambre de l’obscurantisme ».

 

Vous écrivez que « les critiques […] sur le manque d’interdisciplinarité, de scientificité et d’utilité sociale de l’économie moderne sont infondées » et vous ajoutez que compte tenu de vos travaux faisant appel à la psychologie, vous mériteriez de « faire partie de cette nouvelle section ». Vous semblez ne pas souhaiter multiplier les critères d’évaluation des jeunes économistes et jugez « indispensable que la qualité de la recherche soit évaluée sur la base de publications » dans les grandes revues scientifiques, notamment américaines.

 



Bref, vous pensez qu’il n’y a qu’une manière de faire de la science économique. Dans cette vision moniste de la science, la diversité des points de vue favoriserait le relativisme et menacerait l’excellence.

 

Non, Monsieur Tirole, la diversité intellectuelle n’est pas source d’obscurantisme ou de relativisme, elle est source d’innovations et de découvertes. La science progresse d’abord par ses marges, par des minorités audacieuses dont les mérites ne seront souvent reconnus que bien plus tard : Gauss craignait tellement de présenter les prémisses de sa géométrie non euclidienne qu’il attendit des décennies pour les rendre publiques. Riemann et Helmholtz furent insultés par Dühring, lauréat de prestigieuses récompenses décernées par des majorités influentes, vingt ans après les écrits fondamentaux de Riemann sur la géométrie différentielle. La géométrie des systèmes non linéaires de Poincaré fut largement ignorée pendant une soixantaine d’années jusqu’à ce que les théories du chaos déterministe la fassent revenir sur le devant de la scène[1]. Il y a là un enjeu non seulement scientifique mais aussi démocratique fondamental : car la démocratie, y compris à l’intérieur de l’université, repose sur le gouvernement par la majorité mais aussi sur des institutions pluralistes garantissant que les voix minoritaires puissent s’exprimer, explorer de nouvelles voies, alimenter les débats et convaincre.

 

Au sein de l’actuelle section de « sciences économiques », ces institutions pluralistes ne sont plus. Certes, vous nous expliquerez que l’économie mainstream telle qu’elle prospère aujourd’hui n’est pas monolithique : et vous aurez ici raison, elle est assurément constituée de plusieurs espèces dont l’apparence, l’habitat et le pedigree varient. Mais c’est un peu comme si la biodiversité au sein des mammifères se réduisait à l’imposante famille des félins, provoquant l’extinction des autres espèces de mammifères économiques au motif que leurs voix et que leurs crocs sont moins puissants. Cette biodiversité-là est bien trop pauvre pour la vitalité de l’écosystème.

 

Nous, scientifiques, avons tous vigoureusement besoin d’être évalués mais la nature même des évaluations ne doit pas produire une uniformisation endogamique de la science. Car les productions les plus innovantes heurtent les routines en vigueur et ont souvent du mal à trouver leur place dans les revues les plus établies. En normalisant l’évaluation, en forçant à une identité d’objectifs, de métriques et donc de contenus, nous tuons les variations et les innovations qui dessinent les sentiers évolutifs de la production de connaissances scientifiques. Nous bridons artificiellement les nécessaires hybridations avec les autres disciplines qui procèdent selon d’autres modèles.

 

Nous, membres de l’AFEP, publions dans des revues internationales (y compris au sens étroit de revues Etats-uniennes). Mais celles-ci, parce qu’elles publient d’autres manières de pratiquer la science économique, sont reléguées aux marges des « rankings » en vigueur en économie. Il n’en fut pas toujours ainsi. Il fut un temps où l’American Economic Review ou le Quaterly Journal of Economics accueillaient des auteurs appartenant à des courants diversifiés. Ce temps est révolu. Des études bibliométriques sur le fonctionnement de la discipline économique mettent au jour le fonctionnement des grandes revues économiques et attestent que les débats se sont éteints en leur sein[2]. A la différence insigne des revues internationales équivalentes des autres sciences sociales, ces revues publient une proportion considérable d’auteurs originaires de l’université de rattachement de ces revues et se caractérisent par la faiblesse des citations de travaux d’autres sciences sociales. Sous couvert d’excellence, nous sommes en présence de réseaux étriqués et fermés d’autocitations. L’économie mainstream est à ce point centrée sur elle-même qu’elle ne cite pas les autres courants. En revanche, les courants pluriels de l’économie politique citent les travaux issus des autres sciences sociales et d’approches théoriques différentes des leurs, y compris la vôtre, Monsieur Tirole. Comme les revues sont classées par le nombre de citations et comme les minorités sont moins nombreuses que les groupements dominants, les revues sectaires se retrouvent mécaniquement davantage citées que les revues pluralistes. Ne confondons pas sectarisme et qualité.

 

Convaincus de leur supériorité, les économistes dominants rivalisent d’arrogance. Bien souvent, ce qu’ils qualifient d’interdisciplinarité n’est qu’impérialisme à l’égard des autres disciplines : ils répliquent à l’envi des formules éculées dans les domaines étudiés par les autres sciences sociales, plaquant ainsi leur modèle habituel sur n’importe quel objet et s’intéressant peu à ce que les autres disciplines ont à dire. Cette extension d’un fonds de commerce intellectuel permet certes des publications standardisées à l’échelle industrielle mais correspond-elle à un échange authentique et innovant ? Nous souhaitons quant à nous pratiquer une interdisciplinarité généreuse, fondée sur la réciprocité et la (re)connaissance mutuelle. Cette interdisciplinarité est exigeante, elle demande de longs efforts d’appropriation de la pensée et des méthodes de l’autre mais elle est riche d’innovations.

 

Évitons une normalisation de la pensée en économie par l’imposition de critères étroits, d’une échelle uniforme, empêchant toute variation à l’égard de la norme. Car, sans diversité, la démocratie comme la science s’étiolent. Où sont donc les analyses anticipant les mécanismes de la crise financière de 2007-2008 dans les années précédant la crise ? Elles ne sont pas dans les revues d’ « excellence » mais dans des livres et des revues minoritaires voire dans des blogs. Elles ont été écrites par des économistes minoritaires ou des chercheurs d’autres disciplines ! Où sont les Lumières, où se situe l’obscurantisme ?

 

La discipline économique est aujourd’hui verrouillée dans une trajectoire sous-optimale. Il faut lui ouvrir de nouvelles perspectives et offrir à nos collègues comme à nos étudiants le menu varié qu’ils appellent instamment de leurs vœux[3]. La nouvelle section ouvrira un espace de liberté expérimental, modeste mais exigeant. Elle n’enlèvera rien aux courants dominants, sinon leur monopole sur la discipline. Il est temps d’insuffler un vent nouveau au royaume des économistes : alors expérimentons et innovons !

 

 

 

[1] Longo G. (2014), “Science, Problem Solving and Bibliometrics”, Invited Lecture, Academia Europaea Conference on “Use and Abuse of Bibliometrics”, Stockholm, May 2013. Proceedings, Wim Blockmans et al. (eds), Portland Press, 2014.

 

[2] Cf. notamment, Fourcade M., Ollier E., Algan Y. (2014), “The Superiority of Economists”, MaxPo Discussion Paper 14/3, Max Planck Sciences Po Center on Coping with Instability in Market Societies, Nov. 2014, http://www.maxpo.eu/pub/maxpo_dp/maxpodp14-3.pdf; Francis J. (2014), “The Rise and Fall of Debate in Economics. New data illustrate the extent to which economists have stopped discussing each other’s work”, Joe Francis’ Blog, Aug. 29, http://www.joefrancis.info/economics-debate/ , et Lee F. S. (2007), “The Research Assessment Exercise, the state and the dominance of mainstream economics in British universities”, Cambridge Journal of Economics, 31, 309–325.

 

[3] ISIPE (2014), “Pour une économie pluraliste : l’appel mondial des étudiants”, Le Monde, 5 mai 2014, en ligne : http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/05/05/pour-une-economie-pluraliste-l-appel-mondial-desetudiants_4411530_3234.html

 

 

Bataille d'influence chez les économistes français

 

Libération du 2 février 2015

 

Frantz DURUPT

 

 

 

 

Jean Tirole, prix Nobel d'Economie, le 12 novembre 2014 à l'Elysée, à Paris (Photo Dominique Faget. AFP)

 

DEBATS

 

Les économistes hétérodoxes, minoritaires, voulaient une section universitaire. Les orthodoxes, menés par le Nobel Jean Tirole, leur ont mis des bâtons dans les roues. Avec, en toile de fond, deux visions différentes de la place de l'économie dans la société.

 

 

 

A quoi servent les économistes ? La question n’est pas nouvelle, mais elle a pris ces derniers jours un relief particulier, à coup de tribunes et de lettres aux autorités. A notre droite, l’école des économistes libéraux, dits «orthodoxes», majoritaires dans l’enseignement supérieur et dans les médias en France, et dont le récent prix «Nobel» (1) Jean Tirole est une figure. A notre gauche, les économistes «hétérodoxes», issus de la tradition marxiste, assumant une vision politique de leur matière, minoritaires. Leurs figures s’appellent Frédéric Lordon ou Thomas Coutrot.

 

 

 

Entre eux, les différends sont fondamentaux, et anciens. Aujourd’hui, il s’agit ni plus ni moins de la place de chacun dans l’enseignement de l’économie en France. A l’origine, il y a la volonté de l’Association française d’économie politique (Afep), qui réunit plusieurs hétérodoxes depuis 2009, de constituer une nouvelle section d’économie dans les universités. Intitulée «Institutions, économie, territoire et société», celle-ci accorderait plus de place aux sciences humaines, afin d’envisager l’économie dans ses applications concrètes, et non sous l’angle technique qui préside aux études d’un Jean Tirole.

 

Mais ce dernier a peu goûté la proposition et, auréolé de son Nobel, a pris le clavier pour s’adresser à la secrétaire d’Etat chargée de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, pour la décourager d’accepter la création définitive de cette nouvelle section. Dans cette lettre rédigée en décembre, que le site de Marianne a publié dans son intégralité, Tirole agite carrément le spectre d'«une catastrophe pour la visibilité et l’avenir de la recherche en sciences économiques dans notre pays». A ses yeux, la «communauté des enseignants-chercheurs et chercheurs en économie» doit faire l’objet d’un «standard unique d’évaluation scientifique». Une séparation des écoles favoriserait le «relativisme des connaissances, antichambre de l’obscurantisme». Rien que ça.

 

«Gauchistes, ratés, frustrés»

 

D’autres n’ont pas hésité à utiliser des mots plus durs encore. Sous couvert d’anonymat, ils ont évoqué auprès du Figaro une section «fourre-tout», pour caser les «ratés» ou «frustrés» du système universitaire. «La ministre s’est fait rouler par les gauchistes», assénait pour sa part un président d’université, quand il était encore question de créer cette nouvelle section.

 

Depuis, Jean Tirole a été entendu. Geneviève Fioraso a rejeté l’idée des hétérodoxes, et s’en est expliquée dans une lettre au président de la Conférence des présidents d’université, Jean-Loup Salzmann, citée dans une dépêche AFP du 23 janvier : «Je suis certes convaincue que la discipline des sciences économiques a, plus que jamais, besoin de diversité d’approches et d’une fertilisation pluridisciplinaire. Mais pour autant je ne crois pas que le découpage de la section soit la bonne réponse.» Et la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, d’annoncer à son tour que le projet était gelé.

 

Pour les économistes dominants, il faudrait donc refuser la demande de «gauchistes» «frustrés» et «ratés», mais garder ces mêmes gauchistes au sein de la filière existante. Il y avait de quoi faire bondir les intéressés, qui ont publié dans le Monde le 29 janvier une tribune pour affirmer que «les économistes ont aussi besoin de concurrence». Selon les signataires de cette tribune, parmi lesquels Frédéric Lordon mais aussi Marcel Gauchet ou Edgar Morin, la diversité invoquée par les orthodoxes n’existe que dans leur tête : «Un récent travail statistique a montré que, sur la période 2005-2011, sur 120 nominations de professeurs, seuls 6 appartenaient à des courants minoritaires.»

 

Marché efficient, économistes déficients

 

Le même jour, dans l’Obs, Frédéric Lordon et Jean-Pierre Dupuy enfonçaient le clou sur Jean Tirole et Philippe Aghion, professeur au Collège de France et souffleur d’idées auprès de François Hollande : «On ne peut pourtant pas dire que le bilan historique de la pensée orthodoxe soit glorieux. Quelles qu’en soient les nuances internes, c’est bien elle qui a fourni les justifications de la "science" aux profondes transformations structurelles des économies depuis trois décennies, dont le brillant résultat est offert à qui a des yeux pour voir. Cette "science"-là ne défendait-elle pas jusqu’en 2008 la thèse de l’efficience des marchés financiers – qu’elle a largement contribué à déréglementer et à installer à une échelle inouïe ?»

 

Au fond, c’est cela qui se joue aussi : des économistes ayant promu la dérégulation des marchés, qui a conduit à la crise de 2008, font encore aujourd’hui figure de référence. Ils continuent d’être invités dans les médias, sans même que soient dits leurs rapports avec des banques et des entreprises qui ont tout intérêt à voir leurs théories appliquées. Dans un article publié sur Mediapart au lendemain de l’attribution du Nobel à Jean Tirole, le journaliste Laurent Mauduit soulignait que l’Ecole d’économie de Toulouse (Toulouse School of Economics pour les initiés), fondée par Tirole, avait été largement financée par Axa, BNP Paribas, le Crédit agricole ou encore Total. Autant d’entreprises qui n’ont que modérément intérêt à voir une pensée économiste de tradition marxiste faire son chemin jusque dans les têtes.

 

(1) Abusivement appelé ainsi, le «prix Nobel d’économie» est en fait un «prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel».

 

 

 

 

 

 

 

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