10/12/2014
Hopitaux français, sont-ils surdimmensionnés !
100.000 lits de trop...
50% des dépenses "maladie", 23% de dépenses au delà de la moyenne européenne... l'hôpital public coûte très cher !
Bâteau "ivre" avec deux capitaines : le Directeur, qui dispose des fonctions administratives, le Corps médical, qui gère la technique...
Des urgences en "accès libre", des cathédrales de béton, alors que l'hospitalisation de jour prend le dessus !
La gestion "au plus serré" y est difficile...
Pourquoi l'hôpital public est-il mal géré en France?
Le Figaro.fr du 1er décembre 2014
C'est une grande gabegie. Non seulement les soins hospitaliers sont de 23 % supérieurs à la moyenne européenne, mais entre le statut de fonctionnaire, le poids des élus locaux et la stratégie du ministère de la Santé, l'hôpital est impossible à réformer.
Marseille, ses calanques, son Vieux-Port… et son centre hospitalier universitaire à la gestion catastrophique. Un syndicat ultradominant - FO - codirige l'établissement avec les politiques locaux. Les directeurs de l'établissement se succèdent depuis des années, impuissants. Preuve que rien ne change, le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales sur le sujet, publié fin octobre, est le dixième en dix ans. L'AP-HM est l'illustration, excessive mais symptomatique, des dérives de la gestion hospitalière publique «à la française». Mais, au fond, qu'est-ce que l'hôpital français? Des services de pointe qui font référence dans le monde entier et des urgences souvent débordées par les malades du dimanche. Des centres hospitaliers universitaires et des petits établissements locaux qui prodiguent parfois quasi exclusivement des soins gériatriques. Un monde très hétérogène donc, mais où la question d'une saine gestion est omniprésente.
Dérives des coûts et déficits
À l'heure où le gouvernement cherche à réaliser 10 milliards d'euros d'économies sur la santé en trois ans, les regards se tournent avec de plus en plus d'insistance vers l'hôpital. Logique: il emploie plus de 300.000 personnes et engloutit chaque année 75 milliards d'euros. C'est plus que les budgets de la Défense, de la Sécurité et de la Justice réunis. Malgré tout, le système hospitalier enchaîne les déficits. Certes, tous ne sont pas dans le rouge. En 2013, 37 établissements sur 950 concentraient la moitié des pertes. Une douzaine, à la dérive, ont été placés sous administration provisoire. Malgré tout, la situation est inquiétante car, rappelle la Cour des comptes, «les hôpitaux n'ont été soumis ces dernières années qu'à des contraintes d'économies relativement modestes». Certains spécialistes s'interrogent même carrément sur la sincérité des finances de certains établissements, leurs comptes n'étant toujours pas certifiés.
Cela signifie-t-il que le monde hospitalier manque de moyens? Non. La France est plutôt généreuse avec ce secteur. Elle lui alloue 4,2 % de sa richesse nationale, une fois et demie de plus que la moyenne des pays développés. En réalité, l'hôpital public coûte plus cher qu'à l'étranger. L'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) et l'institut européen de statistique Eurostat ont calculé que les soins hospitaliers coûtaient 23 % de plus en France par rapport à la moyenne de l'Union européenne.
L'hôpital public, surtout, est plus dispendieux pour l'Assurance-maladie que les cliniques privées.
À même degré de sévérité, la pose d'une prothèse de hanche coûte 16 % moins cher à la collectivité dans le privé. La facture d'une intervention sur l'intestin grêle et le colon est près d'un tiers moins élevée en clinique. En réalité, les établissements privés doivent faire aussi bien que le public avec moins. Les tarifs servant de base aux versements de l'Assurance-maladie aux établissements y sont 20 % moins élevés que pour l'hôpital. Et si une clinique n'arrive pas à relever ce challenge, elle ferme. A contrario, on n'a jamais vu en France un hôpital public, même exsangue, mettre la clé sous la porte.
Des directeurs sans aucun pouvoir sur leur personnel
Pourtant, les comparaisons internationales sont sans pitié: l'hôpital français apparaît surdimensionné. «Rapporté à la moyenne des pays développés, la France compte 100.000 lits de trop», a calculé Christophe Jacquinet, ancien directeur d'agences régionales de santé et président de Santeliance Conseil. Le maillage territorial des établissements date des Trente Glorieuses, alors que depuis les campagnes n'ont cessé de se vider. Par conséquent, l'activité des services de chirurgie des hôpitaux de petite et moyenne taille est maintenant souvent insuffisante, à cause d'une démographie déclinante.
« Rapporté à la moyenne des pays développés, la France compte 100.000 lits de trop »
Christophe Jacquinet, ancien directeur d'agences régionales de santé et président de Santeliance Conseil
Les patients qui restent choisissent souvent de fuir leur hôpital de proximité pour aller se faire soigner dans le grand CHU régional, ce qui accélère les difficultés de l'établissement. De plus, les effectifs sont trop fournis: 16 personnes pour 1 000 habitants travaillent à l'hôpital en France, contre 11 pour 1 000 en Allemagne. Soit, au regard de la population, environ 50 % de fonctionnaires de plus qu'outre-Rhin. Ce n'est pas anodin. Comme dans toute activité de service, les charges de personnel représentent l'essentiel - 68 % pour être précis - des coûts hospitaliers.
Certes, l'hôpital n'est pas une entreprise comme les autres. Mais imaginez un patron qui ne puisse ni fixer les salaires de ses employés, ni les licencier en cas de problème économique ou personnel, à cause du statut de fonctionnaire hospitalier. Son seul levier d'action: le niveau des effectifs, via les départs naturels (mutations, départs à la retraite). Or, les dépenses de personnel représentent deux tiers des charges environ, et leur hausse s'accélère d'année en année (1,7 % en 2011, 2,2 % en 2012 et 2,8 % en 2013) à cause du vieillissement des effectifs. Quand un médecin pose problème, le directeur est presque sans pouvoir. L'activité médicale, donc les revenus de l'établissement, a beau s'en trouver plombée, impossible de mettre le praticien négligent à la porte sans passer par une longue procédure à l'issue incertaine.
Dans ce contexte de rigidités permanentes, l'arrivée des 35 heures au début des années 2000 n'a fait qu'aggraver la situation. La réduction du temps de travail a profondément désorganisé les services et a nécessité des recrutements massifs qui ont grevé les comptes. Pour compliquer encore la gestion des établissements, les syndicats ont obtenu à cette occasion des RTT à foison. À tel point qu'aujourd'hui la Fédération hospitalière de France appelle à limiter à 15 le nombre maximum de RTT! Le personnel bénéficie en sus de journées de congé «extra-réglementaires» comme le jour de rentrée scolaire, le jour du maire ou le jour des médailles.
Une gestion très politique
En interne, le jeu des institutions représentatives du personnel peut se révéler sclérosant. Un exemple révélateur, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Au sein du plus grand groupe hospitalier d'Europe, «les pouvoirs médicaux, administratifs, syndicaux sont organisés de telle façon qu'ils se neutralisent mutuellement», observe un haut responsable. La direction de l'AP-HP a ainsi eu le plus grand mal à convaincre les chirurgiens qu'il fallait développer la chirurgie ambulatoire, filière d'excellence médicale et source d'économies. Les «mandarins» ne se sont montrés réceptifs qu'une fois leur fierté piquée au vif, c'est-à-dire après la pose d'une prothèse de hanche en ambulatoire réalisée… dans une clinique privée.
D'une manière générale, dans le monde hospitalier, ce ne sont pas ceux qui commandent qui paient.
Ou très peu. L'Assurance-maladie, qui règle l'essentiel de la facture, n'a pas son mot à dire dans la gestion du secteur. C'est en réalité l'État qui centralise les pouvoirs. Mais il ne faut pas non plus négliger le rôle des élus locaux, et notamment du maire au centre de toutes les décisions depuis des siècles.
Les «hospices civils» ont été rattachés à l'échelon local dès le 16 vendémiaire an V, c'est-à-dire le 7 octobre 1796.
Aujourd'hui, les élus locaux n'ont pas officiellement de pouvoir sur l'hôpital, mais ils s'opposent de toutes leurs forces aux restructurations pourtant si nécessaires, souvent avec réussite. Parce qu'ils savent bien qu'un service qui ferme dans «leur» hôpital, ce sont des emplois en moins et une élection perdue. Et comme la facture n'échoit pas à la commune, ils ont tout à gagner dans ce combat.
Aujourd'hui, les élus locaux n'ont pas officiellement de pouvoir sur l'hôpital, mais ils s'opposent de toutes leurs forces aux restructurations pourtant si nécessaires, souvent avec réussite.
La presse régionale est pleine d'exemples de ces blocages persistants. À Decize (Nièvre), circonscription du député frondeur Christian Paul, la maternité a été sauvée in extremis, début juillet, contre l'avis du comité d'experts. À Die, dans la Drôme, la plus petite maternité de France doit son salut, d'après Le Dauphiné libéré, au sénateur et président du conseil général Didier Guillaume. Or, les femmes qui y accouchent doivent signer une décharge en cas de problème, car l'établissement ne remplit pas les critères minimaux de sécurité sanitaire.
À Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), les urgences ont été sauvées grâce «aux très bons relais au plus haut niveau» du député socialiste Jean-Yves Le Déaut, croit savoir l'Est républicain. Car c'est bien dans le bureau de la ministre de la Santé, voire même à l'Élysée, que se décide le sort des services de cardiologie ou de maternité. Une logique purement politicienne prévaut, sans un regard pour la sécurité des patients et la bonne gestion.
Les économies par la pyramide des âges
L'hôpital n'a donc d'autre choix que de se restructurer dans la plus grande discrétion. On ne parle plus d'ailleurs de restructuration mais de «regroupement» ou de «coopération» entre établissements. Près de 90 ont eu lieu depuis 1995, d'après les rares rapports sur le sujet. C'est trop peu. À défaut de fermer les services surnuméraires et non rentables, on donne un peu moins de moyens à tout le monde. D'où l'impression, largement partagée dans le monde hospitalier, d'un cruel manque de ressources.
Une logique purement politicienne prévaut, sans un regard pour la sécurité des patients et la bonne gestion.
Autre stratégie: l'effet pyramide des âges. Des services ferment lorsqu'il n'y a plus personne pour y travailler. Un vrai phénomène: à ce jour, 23 % des postes de médecins sont vacants. Même logique avec le personnel de direction: quatre directeurs sur dix partiront à la retraite dans les cinq ans.
Quoi qu'il en soit, une gestion plus dynamique pourrait se mettre en place. Les CHU vont pouvoir créer des filières à l'étranger pour faire valoir leur savoir-faire, grâce à la future loi Macron. De quoi générer quelques recettes supplémentaires. La rémunération des établissements à la qualité sera expérimentée en 2015. Enfin, les députés et sénateurs affirment leur volonté de renforcer le suivi des budgets de personnel des hôpitaux. Ce n'est pas superflu: les effectifs de l'AP-HM varient de plusieurs centaines de personnes en fonction des documents officiels consultés.
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