04/10/2013
Start-ups contre "FUN" ?
La France adore "la centralisation"...
L'informatique prouve par son histoire que ses développements extraordinaires sont le résultat de projets, portés par de jeunes entrepreneurs...
L'Université française, inquiète du succès des cours en ligne américains, réagit avec beaucoup de retard et propose, dans le contexte bien français, FUN, France Université Numérique !
L'Etat finance, l'INRIA est au charbon, les professeurs d'universités au moulin...
Plaise au ciel, que les lecteurs se précipitent à la recherche du graal de la connaissance !
L'Université française est-elle en train de rater la révolution numérique ? Huffpost du 1er octobre 2013
MOOCs ou encore Massive Online Open Courses (littéralement : cours en ligne massifs et ouverts) : des initiales qui représentent une révolution sans pareil dans l'enseignement ! En un an, environ cinq millions d'étudiants dans le monde ont suivi plus de 350 cours en ligne gratuits d'universités prestigieuses, d'abord et essentiellement américaines. Cette révolution est à la fois un enjeu éducatif et culturel, mais aussi économique. Permettre aux universités françaises d'accéder à cette révolution est donc un enjeu politique.
Les MOOCs proposent des cours conçus en modules courts, enrichis, pour une diffusion sur Internet, avec une plus-value éducative sans commune mesure avec les cours magistraux filmés que nous connaissons déjà. Les MOOCs peuvent être utilisés pour l'obtention d'un certificat, pour une réorientation professionnelle ou par simple intérêt personnel. En cela, ils élargissent la mission universitaire au plus grand nombre et constituent un levier majeur de la démocratisation du savoir. Ils marquent une étape majeure vers la transition de l'humanité vers la Société de la Connaissance.
En France, l'organisation d'une filière e-Educative parmi les 34 plans industriels, annoncés par le Président de la République récemment, est à même de consolider l'émergence d'une offre française de qualité et compétitive en matière de MOOC. De nombreux acteurs, start-ups et grands groupes industriels y travaillent. Ils attendaient de connaître les propositions de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, en matière de collaboration, de partenariat et de projets avec le monde universitaire. Quel ne fut pas leur surprise d'appendre qu'une solution intégrée a été finalement retenue, développée verticalement, avec le support de l'Inria, l'Institut national de recherche en informatique.
Il y a lieu de s'inquiéter d'une telle décision. En effet, même aux Etats-Unis, pays leader s'il en est dans cette révolution éducative, aucune université américaine n'a pris le risque de se lancer seule dans une telle aventure. Et même si beaucoup d'entre elles en ont les moyens, pour ainsi dire toutes ont choisi de s'associer avec des start-ups, spécialisées dans l'ingénierie pédagogique, et développant des plateformes recelant des trésors d'ingéniosité.
Cette logique pose la question de la soutenabilité des MOOC "à la française". Au-delà du choix de la méthode de développement de la plateforme, les enjeux en matière de coût de production des cours, de formation des enseignants, d'évolution des cadres statutaires pour prendre en compte l'évolution de leur métier, ainsi que les enjeux concernant les droits d'auteur doivent être abordés de façon sérieuse, éventuellement au travers d'un débat national. Qu'en est-il par exemple, de la consolidation de la gouvernance numérique des Universités, des PRES ou CUE, et de certaines Grandes Ecoles, avec un interlocuteur doté du pouvoir et des moyens de conduire des expériences nouvelles d'enseignement avec le monde du numérique industriel ?
Il ne s'agit pas d'affirmer ici, par dogmatisme, une quelconque suprématie naturelle des acteurs du privé par rapport à ceux du public ; ni encore de défendre, de façon corporatiste, des intérêts particuliers. Simplement, dans un contexte où tout reste à imaginer, où l'innovation pédagogique, technologique et des usages pourrait faire la différence, force est de reconnaître que les innovateurs de rupture -les start-ups-, sont incomparablement plus efficaces que les acteurs institutionnels. Ce n'est pas l'Etat américain, ni même l'Université de Stanford qui a inventé les MOOCs, c'est une start-up fondée par un ancien professeur de Stanford. Et la plus grande plateforme de Moocs -et celle qui est probablement jugée la plus fonctionnelle- n'est celle de Harvard, mais bien de Coursera, une start-up indépendante de toute institution. Ce n'est pas le Ministère de l'Education américain qui a inventé la plus grande plateforme de vidéo éducative, visitée chaque mois par des dizaines de millions de collégiens, mais Salman Kahn, un ancien trader, qui s'est dédié corps et âme au développement de la Kahn academy et à l'amélioration des pratiques éducatives informatique.
La qualité de l'enseignement français, son accessibilité, sa valeur et sa réputation, qui représentent les paramètres de choix essentiels des étudiants du monde entier, pourrait en pâtir de façon extrêmement cruelle, et en quelques années seulement de choix hasardeux. L'université française court le risque de perdre son pouvoir d'attraction auprès des étudiants, alors que l'enseignement supérieur de qualité fait l'objet d'une compétition mondiale.
Il est encore temps de changer de logiciel, de reconnaître que l'enjeu dépasse largement la réflexion d'alcôve, aussi bien intentionnée qu'elle puisse être. Il en va de la capacité de notre système d'enseignement de continuer à rayonner, à cultiver ses caractéristiques, à échanger plus largement encore avec l'ensemble de ses étudiants, à faire en sorte que la France, son esprit, ses valeurs culturelles, scientifiques puissent continuer se développer dans un monde ouvert, interactif et assoiffé de connaissances.
Gilles Babinet, entrepreneur, "Digital champion" responsable des enjeux numériques pour la France auprès de la Commission Européenne
Guy Mamou-Mani, Président de Syntec Numérique
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