Les Secrets de Saint Pierre

 

Justice, la difficile conversion au numérique

 

Le Figaro du 9 novembre 2015

 

 

 

 

Paule Gonzalès
Pour pallier l'insuffisance des moyens, des juridictions développent leurs propres outils, avec succès. Si bien que d'autres tribunaux demandent à bénéficier de ces logiciels.

 

Le TGI de Paris teste les outils numériques. Depuis cet été, 77 magistrats sont équipés de tablettes. Une trentaine de parquetiers affectés aux sections correctionnelle et flagrants délits, criminalité organisée et lutte contre le terrorisme en ont déjà bénéficié.

 

Mais c'est aussi le cas des juges de l'urgence civile, de l'instruction, des juges des libertés et des chambres correctionnelles. Ces tablettes doivent en théorie permettre l'accès à la documentation juridique et jurisprudentielle, mais aussi aux copies des procédures, ainsi qu'aux différents fichiers dont le casier judiciaire et Cassiopée. Dans le même temps, le TGI a mis en place la copie numérique pour les avocats. Des avancées qu'encourage le président ; Jean-Michel Hayat anticipe également le déménagement aux Batignolles, prévu en 2017.

 

Pour l'instant, l'usage reste limité. À la 23e chambre (comparutions immédiates), les codes continuent de s'empiler sur le bureau du procureur, et les gros dossiers d'envahir celui du président et de ses assesseurs. «On ne peut pas passer un seul câble dans le palais et les connexions 3G sont tellement lentes que cela serait un enfer en audience. Comme nous ne disposons pas de serveur ultrasécurisé, on ne peut espérer de Wi-Fi. Les outils numériques seront surtout efficaces dans le nouveau tribunal», soupire un magistrat.

 

Un gros retard technologique

 

Il y a un an, la Chancellerie avait initialement décidé d'équiper de tablettes les principaux services d'application des peines, afin de faciliter la vie des magistrats qui se rendent en prison. Initiative stoppée net quand un conseiller fit remarquer que les parquets, soumis à la cadence infernale de la justice en temps réel, avaient le plus besoin de combler leur retard technologique. Analyse confirmée par la Direction des affaires criminelles et des grâces.

 

Certaines juridictions n'ont pas attendu le réveil du ministère pour lancer leurs propres outils numériques. C'est le cas de Créteil. Depuis cinq ans, deux logiciels, «Vigie» et «Réflexe», ont été développés par le parquet et le service informatique. «Vigie est un outil de gestion des poursuites qui permet de réserver les audiences, mais aussi de mieux diligenter les enquêtes, d'extraire les affaires complexes, de suivre l'état des investigations avec des alertes calendaires pour le renouvellement des écoutes téléphoniques par exemple», explique Matthieu Debatisse, secrétaire général du parquet de Bobigny qui a développé ces outils à Créteil et s'apprête à les «importer». Quant à la base de données Réflexe, elle permet de mettre à jour toutes les pièces d'un dossier, celles du fichier des personnes recherchées et de l'exécution des peines.

 

À Créteil, les informations sont transmises en temps réel concernant les personnes déférées, et les premières orientations de l'enquête sont mentionnées. «Nous avons toujours un original papier, puisque la signature électronique n'existe pas encore», précise un magistrat. Les TGI de Toulouse, Lyon et Lille ont demandé à être équipés de ces logiciels. Jusque-là, la Chancellerie refuse car ce ne sont pas des outils passés par ses fourches caudines. Mais en l'absence de solutions aussi performantes, elle n'aura d'autre choix que de faire celui de l'efficacité.