Libre circulation des oeuvres culturelles en Europe ?
24/10/2015
La France serre les freins...
Avec une tradition culturelle et une protection des auteurs, très boutiquière, notre Pays dispose d'une réglementation "conservatrice" et "compliquée"...
L'arrivée de l'Internet "gratuit" et de ses copies "sans droit" met à mal quelques monopoles bien franchouillards, comme les grands de l'édition papier, celui des producteurs et distributeurs de films et celui de la Presse écrite...
Google "livres", il y a 10 ans, fit trembler le pouvoir politique, la Bibliothèque Nationale de France et les ministres de la Culture, accrochés à leur pouvoir.
Aujourd'hui Bruxelles remet le couvert en proposant d'améliorer le marché unique et faciliter l'accès à la culture et la connaissance de tous les européens.
Les "pratiques", même en France, changent sous la pression d'Amazon, Google, Facebook, Apple et les autres... la musique "sur support matériel" est dans le trou, entrainant des révisions dans les systèmes de distribution... la Presse précède l'Edition dans la transformation numérique des contenus et la révision des rémunérations des auteurs...
La Citadelle de l'Edition est attaquée par le "libre" dans le "scientifique" et cherche sa survie dans l'exubérance des productions !
La loi "Lang" remue encore, mais pour combien de temps ?
Droit d'auteur, la filière culturelle française en alerte
Les Echos du 22 octobre 2015
Droit d'auteur : la filière culturelle française en alerte - Boll pour « Les Echos »
La Commission européenne s'est mise en tête de moderniser le droit d'auteur pour l'adapter à l'ère d'Internet. Face au risque de voir leurs intérêts malmenés, toutes les industries culturelles françaises sont sur le pied de guerre.
En France, le petit monde culturel - de l'audiovisuel à l'édition en passant par le cinéma et la musique - ne bruit que de ça : la Commission européenne s'est mise en tête de moderniser le droit d'auteur pour l'adapter à l'ère d'Internet. D'ici à la fin de l'année - certains évoquent la date du 9 décembre -, elle lèvera le voile sur les premières orientations de son projet de réforme. Sa philosophie est connue : attachée à la libre circulation des oeuvres au nom de l'intérêt du consommateur, elle veut créer un grand marché unique numérique. Cette ambition passe par une harmonisation des réglementations encadrant la protection des oeuvres et la rémunération des auteurs dans les 28 pays de l'Union européenne. Le droit d'auteur obéirait ainsi aux mêmes règles en France, en Estonie et à Chypre. On en est loin. Chaque Etat membre a aujourd'hui ses règles propres. Un exemple : « Le Petit Prince » d'Antoine de Saint-Exupéry est tombé dans le domaine public en début d'année partout au sein de l'Union européenne, sauf en France. La raison : dans l'Hexagone, les années de guerre et le statut de « mort pour la France » de l'auteur augmentent la durée de protection de l'oeuvre, en règle générale de soixante-dix ans après la mort de l'auteur…
Personne ne sait ce que proposera concrètement Bruxelles, qui planche sur le sujet depuis trois ans et a lancé de nouvelles consultations. Mais les travaux liminaires réalisés par l'eurodéputée allemande Julia Reda ont campé le décor pour des prises de décision, même s'ils n'ont aucune valeur législative. Partie de propositions très réformatrices, cette élue du Parti pirate qui prône un Internet libre a, au fil des mois, dû assouplir ses positions face aux levées de boucliers, en France notamment. La version adoptée à une large majorité par le Parlement européen le 9 juillet préconise néanmoins des évolutions visant à la fois à « améliorer le marché unique » et à « faciliter l'accès à la culture et la connaissance de tous les Européens ». L'un des principaux moyens pour y parvenir serait l'élargissement des champs où le droit d'auteur ne s'applique pas, en particulier dans la recherche et l'éducation. De nouvelles exceptions seraient créées. Il s'agirait par exemple de donner un libre accès à certaines données à des fins de recherche ou d'enseignement, ou encore de permettre le prêt d'oeuvres en format numérique par les bibliothèques. Il semble acquis que, dans la logique du marché unique, la Commission européenne veuille, elle aussi, traiter la question des exceptions au droit d'auteur par la voie de l'harmonisation, y voyant là un facteur d'innovation. « Ces exceptions, qui avaient peu d'application dans le monde physique, sont devenues à l'heure d'Internet et des moteurs de recherche un enjeu beaucoup plus important », explique l'avocat Emmanuel Pierrat, spécialisé dans les questions de propriété intellectuelle.
Mais, pour « briser les barrières nationales » comme le souhaite son président, Jean-Claude Junker, elle a d'autres idées. Bruxelles envisage d'instaurer la « portabilité des contenus légalement acquis » dans l'espace communautaire. A savoir, permettre à tout citoyen d'un pays membre d'avoir accès aux services d'abonnement qu'il a souscrits partout en Europe. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La Commission est également décidée à améliorer la circulation des oeuvres au sein de l'Union. Reste à savoir quelles voies elle empruntera pour atteindre ses objectifs. D'autres propositions - éventuellement controversées - ne sont pas impossibles, l'exécutif européen ayant toutefois bien conscience que sur ce sujet sensible. il marche sur des oeufs.
Face au risque de voir leurs intérêts malmenés, toutes les industries culturelles françaises sont sur le pied de guerre. En France, pays de l'exception culturelle, l'œuvre est sacrée et « le droit d'auteur qui lui est attaché permet de faire vivre l'ensemble de la filière », rappelle l'économiste Françoise Benhamou. Toute velléité de modifier le système suscite donc chez les ayants droit (créateurs et producteurs de contenus) la crainte d'un manque à gagner sur plan financier qui, in fine, fragiliserait le financement de la création culturelle. Dans ce combat, la France est soutenue par l'Allemagne. Elle semble avoir déjà obtenu une première victoire : Bruxelles aurait abandonné toute idée de s'attaquer au principe de « territorialité » du droit d'auteur en vigueur. Mettre fin à ce système où les droits se négocient pays par pays aurait eu pour principale conséquence de remettre en cause le système français de préfinancement des œuvres audiovisuelles et des films.
Face au risque de voir Bruxelles grignoter le droit d'auteur, des voix dissonantes se font toutefois entendre. Si l'audiovisuel, tout comme les sociétés d'auteurs (Scam, SACD…) restent vigilants et les éditeurs de livres très remontés, les bibliothèques, en revanche, se félicitent des nouvelles perspectives qui pourraient s'ouvrir grâce à un droit d'auteur amendé. L'Interassociation Archives Bibliothèques Documentation (IABD) se dit même favorable à ce que certaines dispositions contenues dans le projet initial de Julia Reda, mais ayant disparu dans la version définitive, soient ressuscitées : harmoniser la durée de protection du droit d'auteur dans toute l'Union, rendre obligatoires les exceptions, par exemple. Quant au consommateur, sur ce sujet, il ne semble guère avoir voix au chapitre.
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