Piscine et carrelage...
16/05/2015
Les pièges de la responsabilité civile et de la prescription !
Du temps et un bon avocat, la seule solution !
Malfaçons, attention à la prescription !
Le Monde du 15 mai 2015
Tout propriétaire ayant un toit à couvrir, une façade à ravaler ou une véranda à refaire espère trouver un homme de l’art. S’il tombe sur un mauvais artisan, ses travaux peuvent en effet se transformer en cauchemar judiciaire, comme l’illustre l’histoire suivante.
M. et Mme A., qui souhaitent garder l’anonymat, achètent du carrelage auprès de la société Porcelanosa pour refaire la terrasse de 125 mètres carrés qui entoure leur piscine. Ils font appel à une entreprise de carreleurs pour poser les dalles. Peu après l’achèvement du chantier, ils constatent que, sous l’effet du gel, ces dernières se fendillent. Porcelanosa accepte de les changer et les carreleurs de les reposer.
Quelques jours après la réception des nouveaux travaux, en novembre 2006, M. et Mme A. constatent cette fois que les dalles se décollent. « Elles sont instables et, de ce fait, il est difficile de marcher dessus », explique M. A. Ilrappelle les carreleurs, qui refusent de refaire le travail, en imputant la responsabilité des malfaçons à Porcelanosa : sa colle et ses carreaux seraient de mauvaise qualité. Le fournisseur leur renvoie la balle : ils n’auraient pas posé correctement son matériel. M. A., qui n’est pas d’un tempérament procédurier, tente un nouveau règlement amiable avec ses deux interlocuteurs… Et perd un temps précieux, celui de la prescription judiciaire prévue en matière de construction.
« Manquements »
C’est seulement en août 2009 que M. A. introduit un référé pour obtenir la désignation d’un expert. C’est seulement en janvier 2010 que ce dernier détermine les responsabilités : il met Porcelanosa hors de cause ; il indique que les carreleurs ont commis « des manquements aux règles de l’art les plus élémentaires », en nettoyant mal le support, notamment. C’est donc seulement en mars 2010 que M. A. assigne ces derniers au fond, devant le tribunal de grande instance de Bordeaux.
L’assignation, en matière de construction, est délicate, car le consommateur doit convaincre les magistrats que les travaux litigieux concernent soit un « ouvrage », bénéficiant d’une garantie de dix ans à compter de la réception des travaux, soit un « élément d’équipement dissociable de l’ouvrage », bénéficiant d’une garantie de deux ans. Cette garantie « biennale de bon fonctionnement » est, ici, prescrite, M. A. ayant saisi le tribunal trop tard.
L’avocate de M. A., Me Carol Lageyre, affirme que le carrelage constitue un « ouvrage », et invoque une « jurisprudence récente, selon laquelle les désordres rendant une terrasse de piscine impropre à sa destination impliquent la mise en jeu de la garantie décennale ». Le tribunal la suit. En décembre 2011, il « condamne » les carreleurs à verser 17 850 euros à M. A., pour la réfection de la terrasse, plus 5 000 euros pour trouble de jouissance. C’est Gan, assureur de l’entreprise, qui paie.
Mécontent, Gan fait appel. Il soutient que le carrelage est un « élément d’équipement dissociable de la terrasse ». En effet, il a été « simplement collé sur la chape de la terrasse et son remplacement peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de l’ouvrage qui le supporte ». En conséquence, les dommages qui le concernent relèvent de la garantie biennale. Or, elle est prescrite. Donc, Gan n’avait pas à payer.
Garantie décennale
L’avocate de M. A. répond devant la cour que si la garantie biennale est prescrite, il est tout de même possible d’indemniser son client, sur le fondement de la « responsabilité contractuelle de droit commun » du professionnel, qui joue pendant cinq ans à compter de la découverte des dommages. « Il est toutefois risqué de faire jouer cette responsabilité, car les artisans n’ont pas l’obligation de l’assurer, contrairement à ce qui se passe pour les garanties biennales ou décennales », nous confie Me Lageyre.
En l’occurrence, les carreleurs affirment avoir bel et bien souscrit une assurance auprès de Gan. Mais celui-ci réplique que ses conditions générales excluent l’indemnisation des dommages liés aux « ouvrages, travaux, produits ou matériaux livrés par des sous-traitants », comme Porcelanosa : il n’a donc rien à payer non plus. En juillet 2013, la cour d’appel de Bordeaux infirme la condamnation de Gan, mais confirme celle de l’entreprise.
Les carreleurs se pourvoient en cassation. A cette occasion, la nouvelle avocate de M. A., Me Françoise Fabiani, sort une nouvelle carte : la garantie biennale ne s’applique pas à des éléments d’équipement « inertes », tels que les carreaux. La Cour de cassation juge que c’est bien la garantie décennale qui doit jouer.
Le 27 janvier, elle casse l’arrêt d’appel et renvoie les parties devant la cour de Bordeaux, autrement composée. Lorsque le procès se tiendra, M. A. demandera que Gan, tenu d’assurer la garantie décennale, actualise l’indemnisation versée en 2011, y compris pour le trouble de jouissance subi, puisque, pendant huit ans, il n’a pas pu profiter de sa piscine.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/05/15/malfacons-attention-a-la-prescription_4634161_3234.html#zzRvm8wfW0dUMcES.99
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