Un métier, qui demande de l'humour !
29/10/2014
Dix ans, la vie est courte...
Dans notre société civilisée, l'enterrement est un acte fort, qui réunit familles et amis dans la peine. Il reste quasiment la seule cérémonie, qui résiste au temps et à la société de consommation...
Qu'ils reposent en paix !
Livre, tranches de vie d'un croque-mort
Télégramme du 29 octobre 2014
Yann Le Gall
C'est en employant l'humour que Guillaume Bailly revisite le rapport entre les vivants et la mort..
« Mes sincères condoléances » : le livre de Guillaume Bailly ne laisse pas de marbre.
L'ex croque-mort y aligne dix ans d'anecdotes, drôles ou édifiantes, jamais irrévérencieuses pour les défunts et pas toujours glorieuses pour les vivants. Quand on travaille pour une entreprise de pompes funèbres, on cultive forcément une lecture singulière de la mort. Guillaume Bailly, aujourd'hui journaliste à Funéraire info (revue professionnelle), est passé de l'autre côté en se lançant dans l'écriture. Le Landernéen détenait une sacrée matière : dix années de perles glanées lors d'enterrements ou levées de corps.
Thème délicat mais succès fulgurant.
Sortis le 9 octobre, les 8.000 premiers exemplaires de « Mes sincères condoléances » sont épuisés ou en rayon. Une réédition de 4.000 unités sort bientôt. « Entre les bouquins de Trierweiler et de Zemmour, je n'imaginais pas un si vif succès », s'amuse l'ex croque-mort à la bonhomie manifeste, au contact chaleureux et, ce qui ne gâte rien, détenteur de l'intégrale de Desproges, fameux en son temps pour la finesse humoristique de ses pieds de nez à la pressante faucheuse. Guillaume Bailly, qui partage avec son mentor posthume « l'horreur des bouquins misérabilistes », a signé un premier ouvrage où l'humour noir n'empiète pas sur le respect des morts. Mais n'épargne pas les comportements moralement glaçants de certains proches.
« Faites vite le notaire attend »
« Des enfants nous ont demandé d'accélérer la cérémonie d'inhumation du père parce que le rendez-vous chez le notaire avançait à grands pas », a été témoin le Landernéen.
Sans doute plus original : « Nous avons été appelés en pleine nuit dans une boîte échangiste.
Un homme âgé avait succombé à ses efforts. Le gérant avait pris soin de placer le corps du défunt dans une chambre à part pour que nous le récupérions. Pendant ce temps, la jeune et riche veuve continuait sa soirée ».
Cette autre anecdote qu'il faut peut-être prendre au cinquantième degré :
« Nous sommes appelés en pleine nuit sur un incendie. Un couple venait de périr. Au milieu des pompiers et des gendarmes, le frère du mari vient nous voir et nous garantit qu'il reviendra le lendemain pour régler les formalités de la crémation. Mais il nous prévient qu'il ne payera que la moitié, le boulot ayant déjà été bien avancé ! ».
Sex Pistols à Kerfautras
Heureusement, parmi toutes ces étranges scènes de vie, certaines nous rappellent que la dignité n'est pas encore morte. Dans le genre, une cérémonie iconoclaste a particulièrement marqué Guillaume Bailly : « L'enterrement d'un punk retrouvé mort dans un squat. Cela se passait un matin, devant le carré commun (anciennement appelé fosse commune) du cimetière de Kerfautras, à Brest. Ses amis ont organisé la cérémonie à leur façon. L'un a jeté dans la tombe l'écuelle avec laquelle il faisait la manche, un autre un ticket de bus, d'autres les fonds de leurs verres de bière. On était dans l'ordre du symbolique, du rituel ». « Ils n'avaient pas un sou pour payer des obsèques mais, finalement, ils ont tout compris d'un hommage à un ami disparu. Même si du Sex Pistols dans un cimetière, fallait oser ».
Écrire un bouquin aussi drôle et touchant sur la mort aussi. Bonne pioche en tout cas pour le croque-mort. Plusieurs médias nationaux se penchent sur le phénomène. « Mes sincères condoléances » et ses suites semblent promises à une longue vie. Pratique « Mes sincères condoléances », par Guillaume Bailly, aux éditions de l'Opportun. 310 pages. 9,90 €.
En complément
Enterrer les préjugés
Adossée à une activité perpétuelle, l'entreprise de pompes funèbres recrute régulièrement des salariés : « Mais le plus compliqué, c'est de les garder. Le métier reste difficile », observe Guillaume Bailly. Il faut savoir encaisser les charges émotionnelles au quotidien tout en restant prévenant, attentif, discret et disponible vis-à-vis des familles. À son avis, c'est à ça qu'on voit le bon pro des obsèques. Et la plupart du temps pour un salaire qui ne dépasse guère le Smic. Le croque-mort ne mordait pas les orteils Pour autant, le Landernéen, qui continue de pratiquer en extra, se porte témoin d'un métier beaucoup plus honorable qu'il n'y paraît. L'un des objets de son livre vise précisément à enterrer des préjugés qui ont la dent dure.
La faute à un ostracisme persistant fondé, notamment, sur de vieux malentendus.
Dans « Nos sincères condoléances », Guillaume Bailly revient ainsi sur la légende qui colle au terme de croque-mort : « Beaucoup de personnes pensent encore que cela remonte au fait que les anciens confrères mordaient l'orteil du défunt pour s'assurer qu'il était vraiment mort. Une légende popularisée. Le terme de croque-mort est en réalité apparu au XIIe siècle, au temps où les préposés au ramassage des corps emportés par la peste utilisaient des manches surmontés de crocs pour éviter d'entrer en contact direct avec les cadavres ». En creusant encore dans les archives étymologiques, le professionnel a aussi découvert que le mot civière venait du latin « berra ». Ce qui donne la racine de l'expression mise en bière. Rien à voir avec le houblon, donc. Autre exhumation du champ sémantique : « Il y a quelques siècles, lorsque les cimetières parisiens débordaient, on transportait les corps par la Seine jusqu'à Corbeille-Essone. Le bateau utilisé a vite reçu le surnom de Corbeillard. D'où le mot corbillard », révèle ce croque-mort décidément mordu d'histoire.
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